Dans le sillage du bateau nous ne cessons de surveiller nos lignes. Depuis plusieurs jours nous mangeons de la dorade à chaque repas ! Les leurres crées des gerbes qu’il est parfois difficile de distinguer d’une prise, ce que vérifie le Pétrel qui depuis plusieurs jours chasse dans nos parages. Planant au dessus de nos têtes, le regard baissé , il surveille les crêtes de vagues à l’affût d’un Exocet. De même, à force de scruter l’opacité des vagues nous finissons par percevoir une forme de grande taille qui passe de bord en bord et surfe dans les déferlantes. Un rorqual aux nageoires blanches fait du cache-cache avec l’équipage et à ce jeu nous finissons par le distinguer sans que nous puissions clairement l’identifier! Plus loin, nous apercevons des taches brunes: les sargasses . Cette algue se développe de manière inquiétante depuis plusieurs années dans les mers chaudes et particulièrement dans les caraïbes. Il n’est pas rare de voir certains voiliers s’empêtrer dans de véritables îlots flottants à 1000 miles des cotes martiniquaises ! Adieu la pêche et les dorades
» La Martinique «
Des jours et des jours de mer déjà . Depuis notre départ le vent nous accompagne au portant, sous génois ou trinquette, le bateau file en moyenne à 7 nœuds. 15 jours, c’est peu, 15 fois 24 h c’est un peu plus long… la routine et la monotonie s’installent . En cette fin de journée les nuages s’amoncellent au loin. Sur l’ordinateur de bord la trace du bateau confirme la proximité de la Martinique. Notre approche se fera par le Nord de l’île. Toujours vigilants, nous scrutons la présence de bateaux qui peuvent pêcher dans les parages. Les lueurs au loin indiquent la fin de notre solitude. Le phare de la presqu’ île de la Caravelle scintille …passé le cap st Martin, nous arrivons dans la matinée par une pluie fine. Sous la montagne pelée dans les nuages, St Pierre se réveille au son des hors bords de pêcheurs déployant leurs filets . A moins que cela ne soit l’île de la tortue… nous nous engageons pour jeter l’encre…le bateau s’immobilise…un trésor nous attend , La Martinique !
Mars 2018
AlexandreJacquinot
remerciements à « la route salée » Alex et Marianne, Vincent et Céline, Gilles et Valérie, Frédéric et Thierry mes compagnons de fortune .
A l’approche des tropiques, doté enfin d’un pied marin, j’ai troqué le duvet pour un sac à viande. Les quarts se succèdent alternant 3 h de veille pour 6 h de repos . Je n’ai pas encore récupéré des sept jours de nausée. Frédéric m’accompagne en prenant la barre le plus souvent alors que je somnole sur le banc lors du quart de nuit. Arrivé dans ma couchette, je m’endors très vite mais les grincements du bateau doublés des chocs répétés des tiroirs me tirent d’un repos sans souvenirs…au dessus de moi, le panneau et ses bandes rugueuses se transforment en fenêtre de cachot , je suis transporté dans un train par des claquements répétés dont la sonorité rappelle le cliquetis du joint de chemin de fer ! clac-clac…clac-clac..clac…clac . Plus loin…me voici aux prises avec de gros mexicains dont les chemises à larges cols de satin « m’interpellent », leurs coupes de cheveux à la « stone » torturent mon esprit, gringo…eh gringo… gringo…eh gringo,je me retrouve au volant d’une Harley Davidson dont la rouille me laisse perplexe, pof..paf…pof…paf … à la station je remplis de gazole la gorge d’une femme à la bouche énorme , aglo…aglo…aglo !!! C’EST COMMENT QU’ON FREINE !!!!!!!!!!!
rêves et cauchemars
La tôle résonne des vagues venant lécher la coque, la gite m’entraîne contre le panneau anti-roulis de la bannette. Telle une poupée, mes yeux s’ouvrent et se ferment au rythme du roulis…le voilier me berce, un grand calme s’opère, le bateau plane sans bruit tel un tapis volant, mon corps semble sorti de sa pesanteur, le temps s’immobilise et bascule dans l’éternité … je me rendors. C’EST MERVEILLEUX
Dès le départ, j’avais ressenti les effets du roulis. Le « mercalm » avait juste atténué la nausée qui ne devait pas me quitter durant les 7 premiers jours. Thierry subissait les mêmes effets à la suite d’un manque de sommeil, dû à la proximité de sa cabine avec le pilote automatique dont les grincements et claquements métalliques nous cassent les oreilles en permanence. Le bateau, dans son ensemble grinçait. Les tiroirs et rangements, la vaisselle, tout était balloté régulièrement de droite à gauche . A chaque série de vagues, le barreur devait contre balancer la déferlante . Je cherchais tous les moyens pour me soulager, du gingembre dans le thé au bonbon à la menthe. Rien à faire. Malgré les quarts passé à la barre, la nausée ne me quittait que lors de mes repos en couchette…quoique ! Céline nous préparait des plats délicieux et comble du luxe, Ysé dégustait lesExocet venus s’écraser sur le pont du bateau. Du poisson volant à chaque repas ! La pêche devait nous combler.
dorade coryphène et exocet
Nous avions décider de mouiller 2 lignes avec des leurres en forme de poulpe munis de crochets double. 50 mètres derrière le bateau, nous inspections régulièrement leur état, espérant toucher du gros poisson. Dans ces eaux, nous avions toutes les chances de trouver de la Dorade coryphène voir de la Bonite… C’est au lendemain de quitter Hierro, le bateau naviguant dans un vent soutenu de 15/ 20 noeuds au portant sous génois que nous ramenions 2 magnifiques dorades coryphènes ! Mahi Mahi dans le Pacifique, ces poissons combatifs dont la couleur peut changer tel le caméléon, semblaient sortir d’une fiction …de jaune vif au vert en passant par le gris bleu lors de son dernier souffle, comme une explosion de couleurs vives dans un désert aux reflets bleus monochrome !
solitude
» Solitude «
Au milieu de l’Atlantique et loin des routes commerciales, les rencontres se font rare…l’océan vous offre une hospitalité très relative. La faune semble absente, le ciel d’un bleu infini donne à la mer des reflets indigo, la houle se creuse . Au sommet des vagues, l’écume blanchie l’horizon. Aucun chant. Le temps devient très élastique, seul nos instruments nous ramène au monde cartographié , nos téléphones devenus muets nous coupent définitivement de nos familles. Hors de l’agitation des réseaux, nous commençons d’apprécier la chance et la volonté de naviguer dans ces contrées. J’imagine le doute des premiers explorateurs en quête d’un nouveau monde… Alors, cette ligne tendue et ce leurre sonnent comme une tentative de communion. La mer daigne vous nourrir. OUEST-NORD/OUEST
Sous le soleil, le ponton s’anime. Ils sont encore quelques uns à chercher un embarquement. Réunis dans leur quête, ils arpentent la marina et repèrent ceux qui voudrait bien d’eux pour une traversée. Malgré leur jeunesse, certains de ces équipiers de fortune ont déjà bien navigué mais dans le cadre du convoyage, notre bateau ne peut s’offrir à l’inconnu. Au loin sur la plage, une tente encadrée de palmiers s’agite au vent et semble enracinée pour longtemps. Un ferry s’échappe du port…
Et puis un matin, rempli d’eau et de gazole nous larguons les amarres pour laisser Las Palmas dans sa torpeur. Au moteur, direction le Nord de l’île pour passer tribord amure dans l’archipel des Canaries où nous laisserons Tenerife à notre droite. Roule bateau roule
Passé la pointe de l’isleta, le vent souffle Nord/Est, la mer a des reflets » bleu acier », la côte est magnifique. À l’horizon, au delà des nuages, émerge le pic du Teide , tel un téton gigantesque ! En cette fin d’après-midi le spectacle est total. De nombreux dauphins s’amusent dans le sillage du bateau. Flip Flop Flip Flop ! Pour notre bonheur, nos amis bondissent en un spectacle endiablé où il fait bon se frotter à l’étrave et surfer les crêtes de vague.
« Clair de lune »
Pour cette première nuit de navigation, je redécouvre la voie lactée. D’une limpidité sans pareille, la Lune nous accompagne et nous guide. Le compas à demi éclairé roule sur son axe au rythme de la houle, par série de 3, les vagues déferlent et viennent se glisser sous le bateau. A la barre, les 25 tonnes du bateau chaloupent…gare à l’empannage ! le vent fraîchit, nous naviguons dorénavant sous génois en mode « short sheet », ce qui stabilise la voile au vu du roulis. Roulis…roule bateau roule
« Arrêt buffet à Hierro »
Hierro- archipel des canaries
Première matinée dans l’archipel. En inspectant le moteur, Vincent constate une panne de refroidissement moteur. Nous profitons de la proximité de l’île El Hierro pour nous arrêter et faire le point . Pendant que nos mécanos évaluent le moyen de réparer le circuit de refroidissement du 140 cv Volvo, j’en profite pour mettre pied à terre. Les maisons du port semblent repoussées au bord du rivage, la terre et le sable sont noirs de lave, les cactus semblent jaillir du sol, l’endroit est désert… les pêcheurs reviennent la cale remplie de thon albacore. Les pics sont de sortie pour décharger la cargaison…des siècles sont passés, le poisson est toujours au rendez vous ! Dernière île de l’archipel, nous laissons Hierro « dame de fer » sous le soleil couchant .
Après 3h d’avion nous atterrissons à Las Palmas, archipel des Canaries, dernière étape avant les alizés et la traversée vers les Amériques.
marina Las Palmas
Notre bateau nous attend à la Marina. En provenance d’Italie, » Dotoméa » ( sister-ship de Charles Heidsiek III en version croisière ) fait ses 25/30 tonnes d’aluminium, 1500 litres d’eau et 1000 litres de gazole…c’est un beau bateau de 60 pieds qui fête ses 34 ans. Il aurait appartenu pendant des années à la couronne d’Espagne et le nouveau propriétaire « La Route Salée »(association dédiée à l’exploration) souhaite le voir naviguer dans les caraïbes et les mers australes. Nous naviguerons sous pavillonNED.
» état général «
Le ponton est blindé de bateaux. Au loin les grands cargos, portes containers, pétroliers attendent leurs pilotes…2 paquebots aux allures de villes flottantes livrent leurs touristes au tour-operator, des navires de forage surmontés de derricks se dressent en arrière plan, le décor est planté. Las Palmas, se languit en cette fin d’après midi. Tiens, le voilà notre bateau. Sa robe bleu marine flirte langoureusement avec le ponton sous l’admiration des skippers amoureux de sa croupe en forme de jupe.
Un petit saut et hop nous voici, dans le cockpit !
Un grand carré, des bois vernis, un tableau de bord extra-large, des banquettes très chic, cela respire la croisière grand confort. Cependant le bateau nous parait sale. Il semblerait que le dernier occupant soit parti dans la précipitation…les couchages, la cuisine, les toilettes sont négligées. Vincent et Céline surpris par le désordre se mobilise immédiatement pour redonner du lustre et nous voici tous engagés pour un ménage général. Plus tard, je choisis la chambre face à la suite du capitaine, Frédéric se pointe à l’avant et Thierry à l’opposé non loin de la cuisine. A Chacun sa petite intimité, c’est parfait !
» Préparation du bateau «
préparatifs
Céline, tout comme Vincent, possède une riche expérience maritime. Ils ne se quittent plus depuis leur rencontre sur Tara où elle gérait la logistique et l’avitaillement des marins. De suite, elle commence à explorer les compartiments et d’évaluer le stock de nourriture à bord…plus tard, les commissions nous serons livrées avec tout le nécessaire pour vivre une vingtaine de jours à 6 : 150 litres d’eau de source, des conserves, légumes et fruits frais, du chocolat, des biscuits …la liste est longue ! Cependant il nous faut viser l’ensemble du bateau avant de partir, et très vite, nous comprenons que plusieurs jours seront nécessaires avant de mettre les voiles !
Tout doit être totalement vu et corrigé, si nécessaire.
Vincent inspecte tous les organes du voilier: Du mât à l’accastillage, de la barre à roue au tableau de bord, de l’électricité aux pompes, du générateur au moteur, des extincteurs aux gilets de sauvetage, les outils avec les outils, les poulies avec les poulies… tout est à réviser.
Evaluer nos besoins et ce qui manque.
S’ensuit de nombreux aller/retour chez le shipchandler, véritable camelot du navigateur d’où résonne les demandes les plus variées, le tout dans un brouhaha d’Anglais mâtiné de Portugais, d’Espagnol, d’Italien et de Français. Un monde en soi
Trouver une clavette (jeu dans la barre), resserrer les courroies, changer les filtres, remplacer la rotule du pilote, dépanner l’alimentation de la planche de bord, insérer un Pc pour le logiciel Iridium de navigation, fixation de l’annexe et essais des moteurs hors bord, faire le propre dans les fils électriques, les épissures, les dominos surchargés de fils multicolores… la pompe des toilettes de Thierry…installer le filet de sûreté pour notre infante Ysé .
Il n’y a pas de meilleur moment…Si ce n’est de partir dans les meilleures conditions de navigation : un bateau sain, un équipage cohérent et un maître de bord confirmé .
Le temps passe…des mois, des années …mais comme la décision est prise, un jour l’opportunité se présentera et il faudra la saisir !…Au moment des alizés, quand le vent vous porte d’EST en OUEST.
un vieux rêve de Vauriens
L’heure a sonné !
Frédéric réside maintenant depuis longtemps à Quiberon. « les pieds dans l’eau« , il navigue régulièrement sur un 11 m, son expérience s’enrichit de cabotage en cabotage mais avant de se lancer dans de plus longues navigations en équipage, il souhaite me faire profiter de l’expérience d’une traversée en compagnie d’un « Professionnel ».
Vincent est un marin confirmé. Il a gagné laFasnet en équipage avec Gery Trenteseaux , participé à plusieurs expéditions sur TARA et possède le Capitaine 500. Sa passion le pousse toujours vers les horizons plus divers avec le souci de la maîtrise et de rigueur inhérents à la navigation océanique…Pour gagner sa vie il lui arrive de convoyer des bateaux : « amener un bateau d’un point A vers un point B », dit il et sans encombre. Le genre de marin que l’on sollicite pour des missions délicates…de confiance !
…On part dans 10 jours
Frédéric et lui ont déjà navigué ensemble et ils sont tout deux Quiberonnais… quand Vincent le sollicite pour une transat en ce mois de Janvier 2018, Frédéric ne se gratte pas la tête très longtemps et accepte la proposition, d’autant plus qu’il s’agit de naviguer des Canaries vers la Martinique, sa destination préférée quand l’hiver est vraiment trop long. Dans la foulée, il me téléphone pour savoir si je suis libre de partir dans 10 jours ! Je lui rappelle l’avoir averti qu’il me fallait 15 jours pour me retourner mais là inutile de tourner le dos au destin. L’équipage sera composé de 5 marins. Vincent, sa compagne Céline et Ysé leur fille de 13 mois, Frédéric, Alexandre et… Thierry.
Thierry est un habitué des raids 4×4, un « Toyota » pur jus, un très bon mécano et surtout, il a partagé avec Frédéric plusieurs traversées du Sahara. 3 amis, un couple de marins et une enfant de 13 mois nommée Ysé, voici notre équipage !
Bien avant de rêver d’une traversée de l’Atlantique, je m’étais de nombreuses fois aventuré dans les mers lointaines. J’avais dû affronter tempêtes, mutineries, avaries. Grimper au sommet des cocotiers, séduit les vahinés, déjoué les ruses des pirates et décrypté la carte au trésor …YoHoHo et une bouteille de Rhum !
» il n’est nullement irrationnel d’imaginer que, dans une existence future, nous puissions considérer cette vie comme un songe » Edgar Allan Poe
Je traversais les histoires des plus formidables et épouvantables avec Stevenson et Long John Silver (île au trésor), je m’endormais au souvenir du sinistre capitaine Bligh dans » les révoltés du Bounty » aux dossiers de l’écran . Le journal télévisé vantait le courage d’un marin français face à la perfide Albion : Eric Tabarly sur Pen Duick VI venait de gagner la transat anglaise, le vent dans le nez, au bout de 5 dépressions et d’un pilote automatique en panne !
Il faut dire qu’à cette époque, nous habitions dans le bassin minier, du coté de Lens. Dans un paysage hors du commun, les terrils dominaient l’imagination tout en me laissant entrevoir une aventure plus lointaine.
paysage lensois
Sous la terre des hommes invisibles ramenaient au péril de leurs vies un trésor sombre et noir, le charbon.
Alors les jours de brume, entre copains, c’était à celui qui serait le plus original. » et toi , tu voudrais faire quoi un jour ?! » « je voudrais bien traverser l’océan Atlantique ! » Je n’étais pas le seul…
» Optimist et Vaurien »
Alexandre et Frédéric
L’été, les vacances, la plage. En cette fin des années 60, mon père nous offre la chance de pouvoir découvrir, la mer et la voile du coté du golfe du Morbihan. Quoi de mieux, qu’un Optimist pour apprendre à naviguer en solitaire ! D’autres ont l’opportunité de naviguer en baie de Quiberon. Frédéric et son grand père naviguent sur un Vaurien. Commandé aux Glénan et de fabrication Costantini, c’est le meilleur bateau à disposition pour découvrir les plaisirs de la voile ! Frédéric, à l’époque Lensois tout comme moi, fait partie de ceux pour qui l’océan est un terrain de jeu comme un autre, il suffit de se donner les moyens pour l’explorer !
Alors quand des années plus tard, nous nous sommes retrouvés pour naviguer et régater en Vaurien, nous n’avons pas traîné pour aborder notre objectif commun : la traversée de l’Atlantique !
Bien avant de rêver d’une traversée de l’Atlantique, je m’étais de nombreuses fois aventuré dans les mers … une aventure à retrouver prochainement sur ned.bzh !